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L’épée en main, ce turbulent
Devenait rebelle.
Quoique Blanchard, toujours vaillant,
Arrêtât son bras menaçant,
L’arme trop cruelle
Fit couler son sang.

Il est monté adroitement
Dans cette nacelle,
Et, pour aller au firmament,
Il en sortît en se battant
Avec tout le zèle
Du fameux Roland.

Laisse gronder tes envieux ;
Ils ont beau crier en tous lieux
Que tu veux tromper le vulgaire,
Pour lui attraper son argent,
Si tu savais un peu moins plaire,
Tu ne leur déplairais pas tant.

Le 4 juin 1784, la ville de Lyon vit une nouvelle ascension aérostatique, dans laquelle, pour la première fois, une femme, madame Thible, brava, dans un ballon à feu, les périls d’un voyage aérien. Cette belle ascension fut exécutée en l’honneur du roi de Suède, qui se trouvait alors de passage à Lyon.

Pilâtre de Rozier et le chimiste Proust exécutèrent bientôt après, à Versailles, en présence de Louis XVI et du roi de Suède, un des voyages aérostatiques les plus remarquables que l’on eût encore faits.

L’appareil était dressé dans la grande cour du château. À un signal qui fut donné par une décharge de mousqueterie, une tente de quatre-vingt-dix pieds de hauteur qui cachait l’appareil, s’abattit soudainement, et l’on aperçut une immense montgolfière, déjà gonflée par l’action du feu, maintenue par cent cinquante cordes, que retenaient quatre cents ouvriers. Dix minutes après, une seconde décharge annonça le départ du ballon, qui s’éleva avec une lenteur majestueuse, et alla descendre près de Chantilly, à treize lieues de son point de départ.

Proust et Pilâtre de Rozier parcoururent dans ce voyage, la plus grande distance que l’on ait jamais franchie avec une montgolfière ; ils atteignirent aussi la hauteur la plus grande à laquelle on puisse s’élever avec un appareil de ce genre. Ils demeurèrent assez longtemps plongés dans les nuages et enveloppés dans la neige qui se formait autour d’eux.

Pilâtre de Rozier a écrit de ce beau voyage aérien une relation, que nous allons rapporter.

« La montgolfière, dit Pilâtre de Rozier, s’élevait très-lentement et décrivait une diagonale, en offrant un spectacle tout à la fois agréable et majestueux ; comme un vaisseau qui s’est précipité du chantier dans les eaux, cette étonnante machine se balançait superbement dans l’air qui semblait l’arracher de la main des hommes. Ces mouvements irréguliers intimidèrent un instant une partie des spectateurs qui, craignant qu’une chute prochaine ne mit leur vie en danger, s’éloignèrent à grands pas. Après avoir allumé mon fourneau, je saluai les spectateurs, qui me répondirent de la manière la plus flatteuse ; j’eus le temps d’observer, sur quelques visages un mélange d’intérêt, d’inquiétude et de joie.

« En continuant ainsi notre marche ascensionnelle ; je m’aperçus qu’un courant d’air supérieur opposé au nôtre faisait pencher la Montgolfière ; voulant éviter le feu, j’engageai M. Proust à marcher huit à dix minutes horizontalement ; puis, augmentant la chaleur, nous nous élevâmes ; le volume des objets diminuait sensiblement et nous mettait en état d’apprécier assez exactement notre éloignement ; alors la montgolfière fut distinguée de la capitale et des environs. L’élévation à laquelle nous étions déjà parvenus, faisait croire au plus grand nombre que nous planions sur leur tête.

« Arrivés dans les nuages, la terre disparut entièrement à nos yeux ; un brouillard épais semblait nous envelopper, puis un espace plus clair nous rendait la lumière ; de nouveaux nuages, ou plutôt des amas de neige, s’amoncelaient rapidement sous nos pieds, nous en étions environnés de toutes parts ; une partie tombait perpendiculairement sur les bords extérieurs de notre galerie qui en retenait une assez grande quantité ; une autre se fondait en pluie sur Versailles et sur Paris ; le baromètre était descendu de neuf degrés, et le thermomètre de seize. Curieux de connaître la plus grande élévation à laquelle notre machine pouvait atteindre, nous résolûmes de porter au plus haut degré la violence des flammes, en soulevant notre brasier, et soutenant nos fagots sur la pointe de nos fourches.

« Parvenus aux plus hautes de ces montagnes glacées, et ne pouvant plus rien entreprendre, nous errâmes quelque temps sur ce théâtre plus que sauvage ; théâtre que des hommes voyaient pour la pre-