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pu sauver 11 pour 100 de plus parmi les malades qui ont succombé. »

Ces résultats suffisent pour constater le progrès immense qu’a fait la chirurgie par l’emploi des agents anesthésiques. Il serait à désirer que l’on fit, dans nos grands hôpitaux, pour toutes les opérations, des relevés analogues à ceux que M. Simpson a dressés pour les amputations ; nous ne doutons pas qu’on n’arrivât à des conclusions toutes semblables. Un relevé de ce genre, fait par Roux à l’Hôtel-Dieu, a établi que la mortalité qui, à la suite des grandes opérations, était du tiers, n’a plus été que du quart, à la suite de l’application de la méthode anesthésique. M. Bouisson a fait un relevé de ce genre, sur ses propres opérations. Sur 92 malades opérés sous l’influence de l’éther ou du chloroforme, il n’a eu que 4 morts à regretter. Si l’on rapproche ce résultat remarquable du chiffre qui représente la mortalité des opérés dans les hôpitaux de Paris, on sera disposé à reconnaître sans peine, l’influence heureuse exercée sur la pratique chirurgicale, par la méthode américaine[1].

Il est bon d’ajouter que, d’après l’observation de tous les chirurgiens actuels, les suites des opérations présentent moins de gravité depuis l’emploi des inhalations anesthésiques, et que les plaies des amputés marchent plus vite vers la guérison. On est frappé, en lisant les détails du relevé donné par M. Bouisson, de la promptitude avec laquelle certains de ses opérés ont guéri. Un intervalle de six, de huit et de dix jours a suffi pour permettre le retour à la santé, dans des cas où la guérison exige en moyenne vingt jours et au delà. La plupart des amputations et des ablations de tumeurs ont guéri dans un délai de dix à quinze jours, et une amputation de bras n’en a exigé que six. L’expérience des autres chirurgiens confirme les données tirées de la pratique de M. Bouisson. Enfin il est reconnu que l’emploi des anesthésiques abrège le temps de la convalescence chez les opérés. M. Delavacherie, de Liége, s’est adonné particulièrement à la recherche de ce genre de vérification. De tous les faits recueillis et analysés par ce chirurgien, il résulte que l’influence de l’éther dans les opérations, a toujours été heureuse ; que les plaies marchent vers la cicatrisation après l’emploi de l’éther, comme chez les sujets qui ont été opérés sans son aide, et que s’il existe une différence, elle est en faveur de ceux qui ont été éthérisés ; enfin, que la guérison n’a jamais été moins prompte, et que quelquefois elle l’a été davantage[2].

Les chiffres et les faits établissent donc, d’une manière péremptoire, l’utilité de la méthode anesthésique. Elle a abaissé, dans une proportion notable, le chiffre de la mortalité des opérés ; ainsi elle a atteint ce grand résultat, de prolonger dans une certaine mesure la durée moyenne de la vie. On peut donc hardiment avancer, à ce titre, que l’éthérisation est une des plus précieuses conquêtes dont la chirurgie se soit enrichie depuis son origine.

Mais l’éthérisation ne participerait pas de la nature des inventions humaines, si quelques inconvénients ne se liaient à son emploi, si à côté de ses avantages on ne pouvait signaler quelques dangers plus ou moins graves, si un peu d’ombre ne se mêlait à sa bienfaisante lumière. Nous ne devons et nous ne voulons dissimuler en rien cette face de la question. Il importe que les dangers qui peuvent résulter de l’emploi de l’anesthésie soient bien connus ; car, si ces dangers existent, ils sont d’autant plus graves qu’ils empruntent l’apparence d’un bienfait. Disons-le

  1. Une circonstance qui peut expliquer cet heureux résultat, c’est que les malades, certains aujourd’hui d’éviter la douleur, se décident plus promptement à subir les opérations ; celles-ci, ne s’exécutant plus dès lors chez des individus épuisés par les fatigues de souffrances prolongées, offrent des chances plus avantageuses en faveur de la guérison.
  2. Observations et réflexions sur les effets des vapeurs d’éther. Liége, 1847.