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rent essayées au camp de Saint-Omer, où l’on avait réuni les nouveaux bataillons des chasseurs d’Orléans, elles donnèrent les plus mauvais résultats.

On en revint donc immédiatement à la balle sphérique. D’ailleurs, à cette époque, le duc d’Orléans, mort si malheureusement pour les destinées de la France, n’était plus là pour combattre la routine.

Cependant M. Delvigne ne perdit pas courage. Il se présente un jour au polygone de Vincennes, portant sous le bras un petit mousqueton de cavalerie. Avec cette arme surannée et presque ridicule, mais dont il avait fait une excellente carabine en la rayant et la munissant du projectile oblong, M. Delvigne, en présence du général commandant les chasseurs, rectifie brillamment les mauvais résultats obtenus au camp de Saint-Omer. Son projectile, néanmoins, fut encore rejeté.

Il s’adresse alors à l’Académie des sciences, et la prie de faire examiner cette question. L’Académie nomme aussitôt une commission de quatre membres, au nombre desquels se trouvait Arago.

Le 6 juillet 1844, l’illustre astronome monte à la tribune de la Chambre des députés, et fait connaître les expériences auxquelles il avait assisté sur le champ de tir de Vincennes. Il rapporte qu’à 500 mètres, distance à laquelle le tir à balle sphérique ordinaire n’aurait eu aucune certitude, M. Delvigne a mis quatorze balles sur quinze dans la cible ; à 700 mètres, sept balles sur neuf ; et à 900 mètres, deux balles sur trois. Il constate que la balle sort en tournant sur elle-même, dans la direction de l’axe de la carabine, et touche toujours le but par la pointe.

Arago termina par ces paroles : « L’arme de M. Delvigne changera complétement le système de la guerre ; elle en dégoûtera peut-être, je n’en serais pas fâché. »

La première partie de la prophétie d’Arago s’est accomplie ; quant à la seconde, elle ne semble pas encore près de se réaliser.

La carabine à balle sphérique de M. Delvigne, modifiée par M. de Pontcharra, offrait dans la pratique un inconvénient assez grave : elle exigeait l’emploi de cartouches spéciales, qui se détérioraient plus facilement que la cartouche ordinaire, et qu’il n’était pas toujours possible de se procurer en temps de guerre. C’est pour parer à cette difficulté que M. Thouvenin, lieutenant-colonel d’artillerie, proposa d’en revenir à l’ancien mode de chargement par la baguette, et construisit, en 1842, l’arme qui prit le nom de carabine à tige, en raison de la particularité que nous allons décrire.

Dans cette arme nouvelle, la chambre à poudre employée par M. Delvigne était supprimée. Une tige en acier était vissée au fond de l’âme de la carabine, dans l’axe même du canon ; la poudre occupait l’espace annulaire laissé libre autour de cette tige. On frappait la balle avec la baguette de fer du fusil. La balle, qui reposait au fond du fusil, sur cette tige, était très-bien forcée par le choc de la baguette ; elle ne subissait d’autre déformation qu’un aplatissement régulier. On pouvait donc renoncer au sabot, et faire usage, pour cette arme, de la cartouche ordinaire.

Dès l’invention de sa carabine, M. Thouvenin s’aboucha, pour l’expérimenter, avec deux officiers qui avaient suivi attentivement les travaux de M. Delvigne. C’étaient M, Tamisier, capitaine d’artillerie, professeur à l’École de tir de Vincennes, et M. Minié, capitaine aux chasseurs d’Orléans, instructeur à la même école[1]. De cette union sortit une arme très-perfectionnée.

S’inspirant des précédentes études de M. Delvigne, M. Minié songea à appliquer la balle cylindro-conique à la carabine à tige, dont le défaut principal était la faiblesse de portée, résultant d’une trop grande action de l’air sur les balles aplaties par le forcement. Après divers tâtonnements, MM. Minié et

  1. Favé, Des nouvelles carabines et de leur emploi, in-8, Paris, 1847, p. 10.