Page:Filion - À deux, 1937.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 9 —

chandise, il ne peut s’empêcher de penser : « Ce modèle lui siérait bien, à elle. » Il est effrayé de la place que cette inconnue a prise tout à coup dans sa vie, de l’avoir vue trois fois, et elle ne veut plus sortir de son imagination. Cela ne l’empêche pas de faire des ventes mirobolantes tout l’après-midi.

Sept heures du soir, il s’assoit au restaurant avec l’intention de souper comme à l’ordinaire, mais il trouve insipides les mets qu’on lui sert et qu’il a commandés : nerveux, il repousse son assiette. Il revoit sans cesse les cheveux flous, la bouche si jeune et si rieuse, les grands yeux bleus. Il endosse son pardessus, prend son chapeau, et prestement quitte l’établissement. Il marche à grandes enjambées, comme aux jours où un rendez-vous d’affaires très pressant le stimule.

Il a une amie avec laquelle il ne sort pas régulièrement, mais enfin, par-ci par-là, il lui offre une soirée au théâtre ou bien la conduit à une conférence : les jours où il se sent déprimé, seul ; en un mot quand il a le mal du pays. Il entre à sa chambre, appelle Lucille au téléphone et prend un engagement pour le cinéma. De la sorte il espère réussir à exorciser la trop belle vision. Préoccupé, il n’est pas très aimable envers sa compagne : il ne lui a pas adressé la parole dix fois, pendant le trajet de chez elle à la salle de spectacle, la représentation et le retour. Le fait est qu’il est occupé à faire mentalement une comparaison, (et comme toutes les comparaisons sont odieuses) celle-ci n’est pas à l’avantage de Lucille. La jeune fille pi-