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— Laure, ma Laure, tu déraisonnes, tu sais bien que je suis ta mère. Mais de qui donc serais-tu l’enfant ?

— Je n’en sais rien, balbutia la jeune fille, effrayée du bouleversement des traits de son interlocutrice. Maman, si vous saviez ce que je souffre.

Puis se ressaisissant aussitôt :

— Ce n’est pas le temps de discuter là-dessus, maman, mettons nos manteaux et allons dîner.

Intentionnellement, elle avait insisté sur le mot maman, afin de tranquilliser sa compagne. Elle n’avait pas faim, mais elle avait pitié de cette femme qui n’avait rien pris depuis plusieurs heures.

Ces paroles toutes prosaïques parurent lui donner des yeux, qu’elle n’avait pas encore eus en regardant sa mère. Elle s’avisa qu’elle était très propre, mais que ses cheveux étaient tirés trop lisses, et ne faisaient en arrière qu’un misérable petit chignon. Elle portait un gilet de mérinos noir, fermé en avant d’une rangée serrée de boutons qui commençaient au cou pour ne s’arrêter qu’à la taille, une jupe noire qui touchait la terre, la pliure du bas était garnie d’une bordure effilochée qui garantissait l’étoffe de l’usure. Cette robe toute unie en avant, se terminait en arrière par de nombreux plis qui ornaient un énorme amas d’étoffe si peu souple, que l’effet n’en était guère séduisant.

À cette première impression désagréable pour cette toilette surannée, elle se demanda : « Où maman, peut-elle bien avoir déniché toutes ces vieilleries ? » Puis elle se rappela lui avoir toujours vu