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Pierrette comprit combien sa mère était bouleversée pour lui adresser de si vifs reproches. Elle l’avait toujours tolérée telle quelle, jusqu’à aujourd’hui ; elle répondit donc d’une voix très émue :

— Maman, tu n’aurais pas compris, tu n’aurais pas été capable de sentir ce que j’eusse été impuissante à bien exprimer. Si tu savais l’effet produit sur moi par le retour de Charlie ? Je l’attendais, je l’attendais même avec impatience ; mais quand il m’est apparu descendant du train, il m’a semblé avoir devant moi un homme que je n’avais jamais vu, ni connu. Lors de mon retour à la santé, j’ai compris à un jaillissement d’éclair, que j’aimais depuis des mois Charlie, sous les traits de Guy de Morais ; j’étais atterrée de la découverte. Comment lui expliquer ? Comment lui faire comprendre ce qui était si vague en moi, si inexplicable, si vilain que je n’osais même pas l’énoncer. J’avais trahi mon ami d’enfance. Je l’avais trahi à mon insu. Enfin, il m’a libérée lui-même en m’adressant quelques jours après le départ de Guy de Morais, une lettre de reproches. Je n’ai pas osé lui dire que je reprenais ma parole, mais il a compris tout pareil. Je lui ai demandé de reprendre ses cadeaux, qu’ils étaient à sa disposition. Que son automobile, il pouvait venir la chercher, que je ne m’en servirais plus. Il n’a pas répondu à cette lettre. Quelqu’un, comme vous le savez, est venu réclamer la clef de la voiture, je ne doute pas qu’elle ne soit plus dans le garage, mais je n’y suis pas allée voir.

Pierrette s’arrêta à bout de souffle. Elle n’avait pas encore analysé aussi clairement sa conduite dans cette circonstance, et elle s’efforçait de se donner le beau rôle. Ne sentait-elle pas confusément que ce malheur avait été causé par la trop grande liberté dont elle avait joui. Pouvait-elle aller le reprocher à sa mère ? Madame des Orties la voyant émue, et ne voulant pas l’accabler, lui dit simplement :

— Je suis certaine que tu n’es pas très fière de ta