Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/135

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mollets et ma verve s’en ressentait […] J’espère réparer ma réputation dans les premiers jours de janvier en nous foutant une culotte dans les règles (culotte qui sera sans revers) pour fêter la nouvelle année et la session qui s’ouvrira et qui doit renverser le ministère de l’étranger. On y votera la réforme électorale et un bœuf truffé au beurre d’anchois pour chaque citoyen. Dans six semaines environ, nous nous reverrons, et enfin l’année prochaine tant que nous voudrons. Dis-moi ce que tu comptes faire, si tu penses rester à Paris, ou aller aux Andelys.

Tu pioches ? C’est un peu humiliant : le travail est ce qui rabaisse l’homme. Les sots prétendent que c’est sa gloire ; mais pour moi c’est bien le signe de la malédiction divine, la marque d’une décadence.

Mon cousin Armand Allais[1], que tu connais, vient d’hériter ; si l’on ne découvre pas de testament vendredi prochain, mon homme empoche environ 700,000 francs et plus. Ô fortune ! Voilà de tes coups ! et tu laisses un grand artiste comme moi végéter dans une médiocrité imbécile. Horace parle quelque part d’une médiocrité dorée. Ce serait, pour nous, un luxe de roi, une médiocrité dorée qui nous donnerait des millions. Ô Amérique, que ne m’envoies-tu des oncles du fond de tes forêts ! Qu’ils soient tatoués, oui ou non, de chair rouge ou avec des plumes, Osages ou Iroquois, n’importe ! pourvu qu’ils soient riches, qu’ils soient oncles et qu’ils meurent ! Comme j’échangerais

  1. Fils de la « tante Allais de Pont-l’Évêque », la « madame Aubain » de Un Cœur simple.