Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/137

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l’avenir, de Paris, de ce que nous ferions à 20 ans ! Et le lendemain, le jour du jour de l’an, éveillés avant 5 heures au son des clairons qui salueront encore demain matin mon voisin Foucher, tu te levais le premier, tu faisais mon feu, etc., etc. Te rappelles-tu que jamais nous ne nous endormions avant minuit, que nous voulions voir arriver la nouvelle année en fumant, et que, chacun dans notre lit, nous entendions réciproquement le bruit de nos brûle-gueule brûlant dans l’ombre. Et comme nous déclamions sur le jour de l’an qui nous faisait tant de plaisir et que nous aimions tant !

Mais demain je serai seul, tout seul ; et comme je ne veux pas commencer l’année par voir des joujoux, faire des vœux et des visites, je me lèverai comme de coutume à 4 heures, je ferai de l’Homère et je fumerai à ma fenêtre en regardant la lune qui reluit sur le toit des maisons d’en face, et je ne sortirai pas de toute la journée !!! et je ne ferai pas une seule visite ! Tant pis pour ceux qui se fâcheront ! Je ne vais nulle part, ne vois personne et ne suis vu de personne. Le commissaire de police ignore mon existence ; je voudrais qu’elle le fût encore beaucoup plus. Comme dit le sage ancien : « Cache ta vie et abstiens-toi ». Aussi trouve-t-on que j’ai tort. Je devrais aller dans le monde ; je suis un drôle d’original, un ours, un jeune homme comme il n’y en a pas beaucoup ; j’ai sûrement des mœurs infâmes et je ne sors pas des cafés, estaminets, etc…, telle est l’opinion du bourgeois sur mon compte. — À propos de bourgeois, c’est demain qu’il y en aura dans les rues ! Que de rosettes, de cravates blanches ! Comme il y en aura des chemises plissées, et d’habits du di-