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XIV
SOUVENIRS INTIMES


Quelques mots sur mes grands-parents et sur le développement moral et intellectuel de mon oncle.

I

Mon grand-père, dont les traits ont été esquissés dans Madame Bovary, sous ceux du docteur Larivière appelé en consultation au lit d’Emma mourante, était fils d’un vétérinaire de Nogent-sur-Seine. La situation de la famille était très modeste ; néanmoins, en se gênant beaucoup, on l’envoya à Paris, étudier la médecine. Il remporta le premier prix au grand concours et fut par ce succès reçu docteur sans qu’il en coûtât rien aux siens. À peine venait-il de passer ses examens qu’il fut envoyé par Dupuytren, dont il était l’interne, à Rouen, près du docteur Laumonier, alors chirurgien de l’hôpital. Ce séjour ne devait être que momentané ; le temps de remettre sa santé affaiblie par trop de travail et les privations d’une vie pauvre. Au lieu d’y rester quelques mois, le jeune médecin y resta toute sa vie. Les appels fréquents de ses nombreux amis, l’espérance d’arriver à Paris à une haute situation médicale, espérance justifiée par ses débuts, rien ne le décida à quitter son hôpital et une population à laquelle il s’était attaché profondément. Mais au début ce fut l’amour qui causa ce séjour prolongé, amour pour une jeune fille entrevue un matin, une enfant de treize ans, la filleule de Mme Laumonier, une orpheline en pension qui chaque semaine sortait chez sa marraine.

Anne-Justine-Caroline Fleuriot était née en 1794 à Pont-l’Évêque, dans le Calvados. Par sa mère, elle était alliée aux plus vieilles familles de la Basse-Normandie. « On fait grand bruit, dit dans une de ses lettres