Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un autre, d’une figure assez laide et d’un extérieur assez commun. Il a de magnifiques dents, un front superbe, pas de cils ni de sourcils. Il parle peu, a l’air de s’observer et de ne vouloir rien lâcher ; il est très poli et un peu guindé. J’aime beaucoup le son de sa voix. J’ai pris plaisir à le contempler de près ; je l’ai regardé avec étonnement, comme une cassette dans laquelle il y aurait des millions et des diamants royaux, réfléchissant à tout ce qui était sorti de cet homme assis alors à côté de moi sur une petite chaise, et fixant ses yeux sur sa main droite qui a écrit tant de belles choses. C’était là pourtant l’homme qui m’a le plus fait battre le cœur depuis que je suis né, et celui peut-être que j’aimais le mieux de tous ceux que je ne connais pas. On a parlé de supplices, de vengeances, de voleurs, etc. C’est le grand homme et moi qui avons le plus causé ; je ne me souviens plus si j’ai dit des choses bonnes ou bêtes, mais j’en ai dit d’assez nombreuses. Comme tu vois, je vais assez souvent chez les Pradier ; c’est une maison que j’aime beaucoup, où l’on n’est pas gêné et qui est tout à fait dans mon genre.


74. À ERNEST CHEVALIER.
[Paris, 10 février 1843.]

Quand on t’écrit, on ne sait jamais à qui on a affaire, si c’est à un mort ou à un vivant, à un gaillard en bonne santé ou à un valétudinaire, ce qui embarrasse grandement l’auteur sur le genre à prendre de son style. Il est en effet peu conve-