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CORRESPONDANCE

je me baigne dans la Seine, hélas ! au lieu de la mer, dans un endroit qu’on appelle le Livon et sous une chute qu’il y a là, près d’un moulin. Je vais aller ces jours-ci dans la campagne faire quelques excursions, et puis, dans huit jours, je crois, nous repartons pour Rouen, ancienne capitale de la Normandie, chef-lieu du département de la Seine-Inférieure, ville importante par ses manufactures, patrie de Duguernay, de Carbonnier, de Corneille, de Jouvenet, de Hégouay, portier du collège, de Fontenelle, de Géricault, de Crépet père et fils ; il s’y fait un grand commerce de cotons filés ; elle a de belles églises et des habitants stupides. Je l’exècre, je la hais, j’attire sur elle toutes les imprécations du ciel, parce qu’elle m’a vu naître. Malheur aux murs qui m’ont abrité, aux bourgeois qui m’ont connu moutard, et aux pavés où j’ai commencé à me durcir les talons ! Ô Attila ! quand reviendras-tu, aimable humanitaire, avec quatre cent mille cavaliers, pour incendier cette belle France, pays des dessous de pieds et des bretelles ? Et commence je te prie par Paris d’abord, et par Rouen en même temps.

Adieu, vieux troubadour.


84. AU MÊME.
[Fin janvier, début février 1844.]

Mon vieil Ernest, tu as manqué, sans t’en douter, faire le deuil de l’honnête homme qui t’écrit ces lignes. Oui, l’ancien ; oui, jeune homme ; j’ai