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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Je ne te dirai rien des trois lacs de Côme, Majeur et Genève, ni du Simplon, parce que ce serait trop long, trop difficile, et surtout trop bête de vouloir faire plus que les nommer. Deux choses qui m’ont ému, c’est le nom de Byron gravé au couteau sur le pilier de la prison de Chillon, et le salon et la chambre à coucher de ce vieux Monsieur de Voltaire à Ferney. J’ai vu aussi celle où est né Victor Hugo à Besançon.

Je suis revenu enfin à Paris, où j’ai retrouvé ce brave Alfred, avec lequel j’ai fumé quelques cigares sur l’asphalte. Mais nous n’avons pas (comme tu l’as sans doute présumé déjà, dans ton odieuse immoralité), non, Monsieur ! nous n’avons pas couru les filles ensemble. Ah ! attrape ! ni chacun de notre côté, ce qui est plus fort !

Caroline et Hamard sont restés à Paris pour choisir un logement et se meubler. Ils vont habiter la capitale, comme disent les épicemares. Je reste donc seul avec mon père et ma mère, à Croisset l’été, dans ma chambre à Rouen l’hiver ; dans ma chambre ! Seulement, à Croisset, j’ai mon canot et le jardin, et puis je suis plus loin des Rouennais qui, quelque peu que je les fréquente, me pèsent aux épaules d’une façon dont les compatriotes sont seuls capables. Je vais donc me remettre, comme par le passé, à lire, à écrire, à rêvasser, à fumer. Si ma vie est douce, elle n’est pas fertile en facéties. D’ici à quelques années cependant je n’en désire pas d’autre. J’ai même envie d’acheter un bel ours (en peinture), de le faire encadrer et suspendre dans ma chambre, après avoir écrit au-dessous : Portrait de Gustave Flaubert, pour indiquer mes dispositions morales et mon humeur sociale.