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DE GUSTAVE FLAUBERT.

faisais l’effet d’assister à quelque cérémonie d’une religion lointaine, exhumée de la poussière. C’était bien simple et bien connu, et pourtant je n’en revenais pas d’étonnement. Le prêtre marmottait au galop un latin qu’il n’entendait pas ; nous autres, nous n’écoutions pas ; l’enfant tenait sa petite tête nue sous l’eau qu’on lui versait ; le cierge brûlait et le bedeau répondait : Amen ! Ce qu’il y avait de plus intelligent à coup sûr, c’étaient les pierres qui avaient autrefois compris tout cela et qui peut-être en avaient retenu quelque chose.

Je vais me mettre à travailler, enfin ! enfin ! J’ai envie, j’ai espoir de piocher démesurément et longtemps. Est-ce d’avoir touché du doigt la vanité de nous-mêmes, de nos plans, de notre bonheur, de la beauté, de la bonté, de tout ? mais je me fais l’effet d’être borné et bien médiocre. Je deviens d’une difficulté artiste qui me désole ; je finirai par ne plus écrire une ligne. Je crois que je pourrais faire de bonnes choses ; mais je me demande toujours à quoi bon ? C’est d’autant plus drôle que je ne me sens pas découragé ; je rentre, au contraire, plus que jamais dans l’idée pure, dans l’infini. J’y aspire, il m’attire ; je deviens brahmane, ou plutôt je deviens un peu fou. Je doute fort que je compose rien cet été. Si c’était quelque chose, ce serait du théâtre. Mon conte oriental est remis à l’année prochaine, peut-être à la suivante et peut-être à jamais. Si ma mère meurt, mon plan est fait : je vends tout et je vais vivre à Rome, à Syracuse, à Naples. Me suis-tu ? Mais fasse le ciel que je sois un peu tranquille ! Un peu de tranquillité, grand Dieu ! un peu de repos ; rien que cela ; je ne demande pas de bonheur. Tu me parais heureux ;