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DE GUSTAVE FLAUBERT.

durs ? Oui ma belle, tu m’as enveloppé de ton charme, tu m’as pénétré de ta substance. Oh ! si je t’ai pu paraître froid, si mes satires sont rudes et te blessent, je veux, quand je te reverrai, te couvrir d’amour, de voluptés, d’ivresse. Je veux te gorger de toutes les félicités de la chair, t’en rendre lasse, t’en faire mourir. Je veux que tu sois étonnée de moi et que tu t’avoues dans l’âme que tu n’avais même pas rêvé des transports pareils. C’est moi qui ai été heureux. Je veux que tu [le] sois à ton tour. Je veux que dans ta vieillesse tu te rappelles ces quelques heures là et que tes os desséchés en frémissent de joie en y repensant. N’ayant pas encore reçu la lettre de Phidias (je l’attends avec impatience et dépit), je ne puis être chez toi dimanche soir. Et puis nous n’aurions pas la nuit. D’ailleurs tu auras du monde. Il faudrait que je sois habillé et conséquemment que j’emportasse du bagage. Or, je veux venir sans rien, sans paquets ni malles, pour être plus libre, sans rien qui me gêne.

Je comprends bien l’envie que tu as de me revoir dans ce même lieu, avec les mêmes personnes ; j’aimerais cela aussi. Ne nous accrochons-nous pas toujours à notre passé, si récent qu’il soit ? Dans notre appétit de la vie nous remangeons nos sensations d’autrefois, nous rêvons celles de l’avenir. Le monde n’est pas assez large pour l’âme ; elle étouffe dans l’heure présente. Je pense souvent à la lampe d’albâtre, va, à son chaînon qui la tient suspendue. Regarde-la quand tu liras ceci, et remercie-la de m’avoir prêté sa lumière. Du Camp (c’est cet ami dont je t’ai parlé dans une lettre précédente) est arrivé au-