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CORRESPONDANCE

dans mon cœur ! Vingt fois par jour je te replace sous mes yeux avec les robes que je te connais, les airs de tête que je t’ai vus. Je te déshabille et te rhabille tour à tour. Je revois ta bonne tête à mes côtés sur mon oreiller. Ta bouche s’avance, tes bras m’entourent… Qu’importe ! Ce n’est pas là le meilleur de notre amour ; ce n’est que la saulce comme dirait Rabelais ; la viande c’est ton âme.

Tu as pleuré la première fois mercredi ; tu croyais que je n’étais pas heureux ; était-ce vrai ? Oui je l’étais, comme je ne l’ai pas été, tout autant que je peux l’être. Je le serai plus encore, car je t’aime de plus en plus. Je voudrais te le redire toujours, te le prouver sans cesse.

Adieu, mille baisers partout ; à toi celui que tu aimes et qui t’aime.


128. À LA MÊME.
En partie inédite.
Mercredi, 10 h. du soir. [Croisset, 26 août 1846.]

C’est une attention douce que tu as de m’envoyer chaque matin le récit de la journée de la veille. Quelque uniforme que soit ta vie, tu as au moins quelque chose à m’en dire. Mais la mienne est un lac, une mare stagnante, que rien ne remue et où rien n’apparaît. Chaque jour ressemble à la veille ; je puis dire ce que je ferai dans un mois, dans un an, et je regarde cela non seulement comme sage, mais comme heureux. Aussi n’ai-je presque jamais rien à te conter. Je ne reçois aucune