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DE GUSTAVE FLAUBERT.

ri de pitié sur la vanité de mes meilleurs sentiments et de mes croyances les plus pures. Mais je ne jette pas à la porte ceux qui veulent me rester dans mon isolement ennuyé.

Nous parlons souvent de toi avec M[axime]. J’ai peur que ma mère ne nous entende, car un soir mon beau-frère, qui se tenait dans sa chambre (elle est contiguë à la mienne), est venu nous rapporter une conversation que nous avions tenue. Elle roulait heureusement sur un sujet indifférent ; mais c’est un avertissement. Nous passons notre temps à des causeries dont je serais honteux presque, à des folies, à des songeries impériales. Nous bâtissons des palais, nous meublons des hôtels vénitiens, nous voyageons en Orient avec des escortes, et puis nous retombons plus à plat sur notre vie présente et, en définitive, nous sommes tristes comme des cadavres. Ce serait à périr d’ennui pour un tiers.

Le matin, il va voir à l’Hôtel-Dieu tailler et amputer ; ça le divertit. Pendant ce temps, je fais un peu de grec et je prends une leçon d’armes. Puis nous fumons beaucoup. Voilà notre vie depuis huit jours. Je lis le soir Servitude et grandeur militaire (sic) de l’ami Stello. C’est d’un bon ton, mais passablement froidasse. J’ai un Saint Augustin complet, et, une fois l’ami parti, je me lance à corps perdu dans les lectures religieuses ; non pas du tout dans l’intention de me donner la Foi, mais pour voir les gens qui ont la Foi.

Adieu, cher et doux amour ; je t’embrasse sur la peau fine de ta gorge.