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DE GUSTAVE FLAUBERT.

177. À LA MÊME.
En partie inédite.
Vendredi, 4 h. du soir. [Rouen, 11 décembre 1846.]

Ne trouves-tu pas qu’il y aurait un beau roman à faire sur l’histoire de M[axime] D[ucamp] ? Toi qui es à même de voir tout cela de près, tu devrais t’en mêler. Tu as l’esprit fin, clair, juste quand la passion ne t’égare pas ; le fond en est ardent et sceptique. Étudie bien ces personnages, complète dans ta tête ce que la vérité matérielle a toujours de tronqué, et mets-nous ça en relief dans quelque bon livre bien tassé, bien nourri, varié de ton et d’aspect, uni d’ensemble et de couleur. Ces détails techniques que tu me donnes sur le Mari sont curieux. Je vais prendre des informations là-dessus et je te dirai ce que la science en pense. Il ne faut blâmer, même en pensée, cette femme de ce que tu trouves que la passion, chez elle, ne sonne pas assez fort. Nier l’existence des sentiments tièdes parce qu’ils sont tièdes, c’est nier le soleil tant qu’il n’est pas à midi. La vérité est tout autant dans les demi-teintes que dans les tons tranchés. J’ai eu dans ma jeunesse un ami véritable qui m’était dévoué, qui eût donné pour moi sa vie et son argent ; mais il ne se serait pas levé, pour me plaire, une demi-heure plus tôt que de coutume ni (sic) accéléré aucun de ses mouvements. Quand on observe avec un peu d’attention la vie, on y voit les cèdres moins hauts et les roseaux plus grands. Je n’aime pas pourtant l’habitude qu’ont de certaines gens de rabaisser les grands