Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

aura le visage le plus pâle et dira le mieux : je suis blasé. Blasé ! quelle pitié ! blasé à dix-huit ans ! Est-ce qu’il n’y a plus d’amour, de gloire, de travaux ? Est-ce que tout est éteint ? Plus de nature, plus de fleurs pour le jeune homme ? Laissons donc cela. Faisons de la tristesse dans l’Art puisque nous sentons mieux ce côté-là, mais faisons de la gaieté dans la vie : que le bouchon saute, que la pipe se bourre, que la putain se déshabille, morbleu ! Et si un soir, au crépuscule, pendant une heure de brouillard et de neige, nous avons le spleen, laissons-le venir, mais pas souvent. Il faut se gratter le cœur de temps en temps avec un peu de souffrance pour que toute la gale en tombe. Voilà ce que je te conseille de faire, ce que je m’efforce de mettre en pratique.

Autre conseil : écris-moi souvent, bougre de brave homme sans éducation, sans bonnes manières. Dis-moi ce que tu fais en tout point, au moral, au physique […] J’ai fini hier un mystère qui demande 3 heures de lecture. Il n’y a guère que le sujet d’estimable. La mère en permettra la lecture à sa fille.

Achille est à Paris, il passe sa thèse et se meuble. Il va devenir un homme rangé et ressemblera à un polypier fixé sur les rochers […]


31. AU MÊME.
31 mai 1839, onze heures, vendredi.

C’est demain qu’on se marie […].

Je suis dans une atmosphère de dîners. Mercredi dernier, Achille nous a payé son dîner