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DE GUSTAVE FLAUBERT.

depuis dimanche matin jusqu’à ce soir, j’ai été un des plus gaillards, si ce n’est le plus gaillard des passagers. Il n’en est pas de même de Maxime ni de Sassetti qui ont piqué une assez grande quantité de renards ! Quant à moi, promenades sur le pont, dîners avec l’état-major, stations sur la passerelle, entre les deux tambours, dans la compagnie du commandant, où je me piète dans des attitudes à la Jean-Bart, la casquette sur le côté et le cigare au bec. Je m’instruis en marine, je m’informe des manœuvres, etc. Le soir, je contemple les flots et je rêve, drapé dans ma pelisse comme Childe Harold. Bref, je suis un gars. Je ne sais pas ce que j’ai, mais je suis adoré à bord. Les messieurs m’appellent papa Flaubert, tant, à ce qu’il paraît, ma boule est avantageuse sur l’élément humide. Tu vois, pauvre vieille, que le début est bon. Et ne va pas croire que la mer ait été très calme ; au contraire, le temps a été un peu dur, le vent d’est nous a retardés de 12 heures.

Nous avons à bord deux jeunes gens dont un a déjà fait notre voyage. Selon lui, rien n’est plus aisé. C’est un ancien élève de l’École polytechnique, très riche, que l’on appelle M. Delagrange et qui, dans ce moment, se dirige vers Suez pour gagner Ceylan et faire un petit voyage de 4 ans dans l’Inde, uniquement pour son agrément. La traversée seule lui coûte 7,000 francs. Rien n’est plus drôle que notre bâtiment et la composition des passagers. Tout le monde est ami intime. On cause, on parlotte, on blague. Les meilleurs font des politesses aux dames. On dégobille l’un devant l’autre, et le matin on se revoit avec des figures de déterrés qui rient les unes des autres.