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DE GUSTAVE FLAUBERT.

tout bleus, l’espace immense. À un endroit que tu trouveras sur ta carte et que l’on appelle Edkou, on passe l’eau en bac. Là, nos gamins avaient acheté au conducteur de deux chameaux quelques dattes dont ceux-ci étaient chargés. À une demi-lieue plus loin environ, nous chevauchions tranquillement côte à côte, à cent pas de nos guides qui nous suivaient par derrière, quand tout à coup nous détournons la tête à un bruit de grands cris qui nous arrive. Nos hommes se bousculaient tous et nous faisaient signe de venir. Sassetti s’enlève au grand galop avec son pet-en-l’air de velours qui vole au vent, nous enfonçons nos éperons dans le ventre de nos chevaux et nous arrivons sur le théâtre du conflit. C’était le propriétaire des dattes qui suivait de loin ses chameaux et qui, voyant nos jeunes drôles en manger, avait cru qu’ils les avaient volées et était tombé sur eux à coups de bâton.

Mais quand il vit trois bougres fondre sur lui avec des fusils accrochés à leur selle, les rôles changèrent et, de battant qu’il était, il devint battu. Le courage alors revint à nos hommes qui tombèrent dessus à coups de triques et de façon à ce que la peau du derrière lui en pétait à chaque bordée. Pour éviter les coups, il entra dans la mer en relevant sa robe de peur d’être mouillé ; les autres l’y suivirent. Plus il relevait sa robe, plus il offrait de place aux bâtons qui roulaient sur lui comme des baguettes de tambour. Il n’y avait rien de plus drôle à considérer que ce cul noir au milieu des vapeurs blanches. Il hurlait comme une bête féroce. Nous autres, nous étions là sur le bord à rire comme des fous. J’en ai encore mal