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CORRESPONDANCE

C’est très ravagé et abîmé, non pas par le temps, mais par les voyageurs et les savants.

Nous avons fait une chasse à la hyène. Ça a consisté à passer la nuit à la belle étoile, ou mieux aux belles étoiles, car je n’ai jamais vu le ciel beau comme cette nuit-là. Mais la bête féroce s’est moquée de nous : elle n’est pas venue. En revanche, un jour que je me promenais à cheval tout seul et sans armes du côté des hypogées, pendant que Maxime photographiait de son côté, je montais lentement et le nez baissé sur ma poitrine, me laissant aller au mouvement du cheval, quand tout à coup j’entends un bruit de pierres qui déroulent ; je lève la tête et je vois sortant d’une caverne, à dix pas en face de moi, quelque chose qui monte la roche à pic, comme un serpent. C’était un gros renard ; il s’arrête, s’assoit sur le train de derrière et me regarde. Je prends mon lorgnon et nous restons ainsi à nous contempler réciproquement pendant trois minutes, nous livrant sans doute à part nous-mêmes à des réflexions différentes. Comme je m’en retournais tranquillement, maudissant la sottise que j’avais faite de n’avoir pas emporté mon fusil, voilà qu’à ma gauche, d’une autre caverne (le sol en est plus percé en cet endroit qu’une écumoire ne l’est de trous) débusque avec un calme impudent le plus beau chacal que l’on puisse voir. Il s’est en allé tranquillement, à petits pas, s’arrêtant de temps à autre pour détourner la tête et me lancer des œillades méprisantes. À Karnac, nous étions étourdis la nuit du bruit de ces gaillards-là qui hurlaient comme des diables ; l’un d’eux est venu, une nuit, voler notre beurre au milieu de