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CORRESPONDANCE

de chameaux morts de fatigue. Il y a des endroits où l’on trouve de grandes plaques de sable dallées ; c’est uni et glacé comme l’aire d’une grange : ce sont les lieux où les chameaux s’arrêtent pour pisser. L’urine, à la longue, a fini par vernir le sol et l’égaliser comme un parquet. Nous avions emporté quelques viandes froides. Dès le milieu du second jour nous avons été obligés de les jeter. Un gigot de mouton que nous avions laissé sur une pierre a, par son odeur, immédiatement attiré un gypaète qui s’est mis à voler en rond, tout autour.

Nous rencontrions de grandes caravanes de pèlerins qui allaient à la Mecque (Kosseir est le port où ils s’embarquent pour Gedda[1] ; de là à la Mecque il n’y a plus que trois jours), de vieux Turcs avec leurs femmes portées dans des paniers, un harem tout entier qui voyageait voilé et qui criait, quand nous sommes passés près de lui, comme un bataillon de pies, un derviche avec une peau de léopard sur le dos.

Les chameaux des caravanes vont quelquefois les uns à la file des autres, d’autres fois tous de front. Alors, quand on aperçoit de loin à l’horizon, en raccourci, toutes ces têtes se dandinant qui viennent vers vous, on dirait d’une émigration d’autruches qui avance lentement, lentement et se rapproche. À Kosseir nous avons vu des pèlerins du fond de l’Afrique, de pauvres nègres qui sont en marche depuis un an, deux ans. Il y de bien singuliers crânes. Nous avons vu aussi des gens de Bokhara, des Tartares en bonnet

  1. Djeddah.