Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
DE GUSTAVE FLAUBERT.

Il y a au Caire un poète[1] qui fait des tragédies orientales dans le goût de Marmontel mitigé de Ducis. Il nous a lu une tragédie sur Abd-el-Kader qui est amoureux d’une Française et finit par se tuer de jalousie. Il y a là des morceaux. Tu en peux juger par le sujet. Le poète, qui est médecin, est un être bouffi de vanité, gredin, voleur, assomme tout le monde de ses œuvres et est repoussé de ses compatriotes. Lors de la révolution de février, il adressa une pièce à Lamartine dont le vers final était :

Vive à jamais le Gouvernement provisoire !

Dans une autre, adressée au peuple français, il y avait ceci :

Peuple Français ! ô mes compatriotes !

Il vit avec un sale nègre dans une maison obscure. Sa famille le redoute et, lorsqu’il lit sa tragédie, tout chez lui tremble de silence et d’attention. Il porte un nez en perroquet, des lunettes bleues et est accusé par un ingénieur de lui avoir volé une caisse d’habits. La canaille française à l’étranger est magnifique et, j’ajoute, nombreuse.

Hein, vieux, j’espère qu’en voilà un paquet et que je suis un aimable homme ! Réponds-moi à Beyrouth où nous serons à la fin de juillet, ensuite à Jérusalem. Pioche toujours. Adieu, vieux de la plume, je t’embrasse sur ta bonne tête.

5 juin. — C’est demain le 6, anniversaire de la naissance du grand Corneille ! Quelle séance à

  1. Chamas. Voir Du Camp, Souvenirs, I, p. 340.