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CORRESPONDANCE

étoile, mais avec des vêtements de drap. Depuis le mois de janvier dernier, nous n’avons pas reçu une goutte de pluie ; mais nous allons en avoir à Constantinople.

Je vous ai bien regretté il y a aujourd’hui quinze jours. C’était à Esdoud, au beau milieu du Liban, à trois heures des cèdres. Nous avons dîné chez le scheik du pays. Pour aller dans la salle où nous avons été reçus, nous avons traversé une foule (le mot est littéral) de quarante à cinquante domestiques. Aussitôt que nous avons été assis sur les divans, on nous a parfumés avec de l’encens, après quoi on nous a aspergés avec de l’eau de fleurs d’oranger. Un domestique suivait, portant une longue serviette à franges pour vous essuyer les mains. Le maître de la maison, jeune homme de vingt-quatre ans environ, portait sur les épaules un manteau brodé d’or, et tout autour de la tête un turban de soie rouge à petites étoiles d’or serrées les unes près des autres. Il y avait bien une trentaine de plats à table, pour quatre personnes que nous étions. Afin de faire honneur à tant d’honneurs, j’ai mangé de telle sorte que si je n’ai pas eu d’indigestion le soir, c’est que j’ai un rude estomac. C’est du reste une grande impolitesse à ces gens-là que de refuser. À Kosseir, sur les bords de la mer Rouge, dans une circonstance semblable, Maxime a manqué crever d’indigestion.

Adieu, mon bon vieux père Parain ; ne faites pas trop de polissonneries avec Bouilhet. Écrivez-moi souvent, et recevez de ma part la meilleure embrassade que jamais neveu ait donnée à son oncle, ou ami à son ami. À vous du fond du cœur.