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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Jugement dernier de Michel-Ange. Cette réflexion est celle-ci, c’est qu’il n’y a rien de plus vil sur la terre qu’un mauvais artiste, qu’un gredin qui côtoie toute sa vie le beau sans jamais y débarquer et y planter son drapeau. Faire de l’art pour gagner de l’argent, flatter le public, débiter des bouffonneries joviales ou lugubres en vue du bruit ou des monacos, c’est là la plus ignoble des professions, par la même raison que l’artiste me semble le maître homme des hommes. J’aimerais mieux avoir peint la chapelle Sixtine que gagné bien des batailles, même celle de Marengo. Ça durera plus longtemps et c’était peut-être plus difficile. Et je me suis consolé de ma misère en songeant du moins à ma bonne foi. Tout le monde ne peut pas être pape. Le dernier franciscain qui court le monde pieds nus, qui a l’esprit borné et qui ne comprend pas les prières qu’il récite, est aussi respectable peut-être qu’un cardinal, s’il prie avec conviction, s’il accomplit son œuvre avec ardeur. Il est vrai, le pauvre homme, qu’il n’a pas pour le réconforter dans ses découragements le spectacle de sa pourpre, ni l’espoir de s’asseoir un jour sur le Saint-Siège.


282. À LOUIS BOUILHET.
Rome, 9 avril 1851.

Je t’ai écrit de Patras une longuissime lettre où je te parlais de tes deux pièces du Vesper et du Corydon[1] ; aussi ai-je été fort étonné, dans le petit

  1. Voir Nééra, dans Festons et Astragales.