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DE GUSTAVE FLAUBERT.

de se salir sur le sable ou d’être écrasé sous les pieds, je rentre dans ma coquille. Je ne dis pas que je ne sois point capable de toute espèce d’action, mais il faut que ça dure peu et qu’il y ait plaisir. Si j’ai la force, je n’ai pas la patience, et c’est la patience qui est tout. Saltimbanque, j’aurais bien levé des fardeaux, mais je ne me serais jamais promené en les portant au bout du poing. Cet esprit d’audace et de souplesse déguisées, de savoir-vivre, qu’il faut, l’art de la conduite, tout cela m’est lettre close, et je ferais de grandes sottises. Dans ta dernière nouvelle, tu as supprimé deux passages que tu considérais comme scabreux ; c’est une concession humiliante qui m’a irrité contre toi. Je ne suis pas certain de ne pas t’en vouloir encore, et il est possible que je ne te pardonne jamais.

La Muse me reproche « le cotillon de ma mère ». J’ai suivi ce cotillon à Londres et il m’accompagnerait bien à Paris. Oh ! si tu me débarrassais de mon beau-frère et de…, combien je sentirais peu le voisinage de ce cotillon ! Hier j’ai parlé longuement de tout cela avec ma mère. Elle est comme moi, elle n’a pas d’avis. Son dernier mot a été : « Si tu as fait quelque chose que tu trouves bon, publie-le. » Me voilà bien avancé ! Au reste, je te donne tout ce qui précède comme un thème à méditation. Seulement médite et considère-moi tout entier. Malgré ma phrase de l’Éducation sentimentale : « Dans les confidences les plus intimes, il y a toujours quelque chose que l’on ne dit pas »[1], je t’ai tout dit, autant qu’un homme peut être de

  1. Œuvres de Jeunesse inédites, t. III, p. 49.