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CORRESPONDANCE

qu’il n’y en a aucun, le style étant à lui tout seul une manière absolue de voir les choses.

Il me faudrait tout un livre pour développer que je veux dire. J’écrirai sur tout cela dans ma vieillesse, quand je n’aurai rien de mieux à barbouiller. En attendant, je travaille à mon roman avec cœur. Les beaux temps de Saint Antoine vont-ils revenir ? Que le résultat soit autre, Seigneur de Dieu ! Je vais lentement : en quatre jours j’ai fait cinq pages, mais jusqu’à présent je m’amuse. J’ai retrouvé ici de la sérénité. Il fait un temps affreux, la rivière a des allures d’océan, pas un chat ne passe sous mes fenêtres. Je fais grand feu.

La mère de Bouilhet et Cany tout entier se sont fâchés contre lui pour avoir écrit un livre immoral. Ça a fait scandale. On le regarde comme un homme d’esprit, mais perdu ; c’est un paria. Si j’avais eu quelques doutes sur la valeur de l’œuvre et de l’homme, je ne les aurais plus. Cette consécration lui manquait. On n’en peut avoir de plus belle : être renié de sa famille et de son pays ! (C’est très sérieusement que je parle.) Il y a des outrages qui vous vengent de tous les triomphes, des sifflets qui sont plus doux pour l’orgueil que des bravos. Le voilà donc, pour sa biographie future, classé grand homme d’après toutes les règles de l’histoire.

Tu me rappelles dans ta lettre que je t’en ai promis une pleine de tendresses. Je vais t’envoyer la vérité ou, si tu aimes mieux, je vais faire vis-à-vis de toi ma liquidation sentimentale non pour cause de faillite (Ah ! il est joli celui-là), au sens élevé du mot, à ce sens merveilleux et rêvé qui rend les cœurs béants après cette manne impos-