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DE GUSTAVE FLAUBERT.

de la santé ! C’était pourtant un homme né, ce bon Gautier, et fait pour être un artiste exquis. Mais le journalisme, le courant commun, la misère (non, ne calomnions pas ce lait des forts), le putinage d’esprit plutôt, car c’est cela, l’ont abaissé souvent au niveau de ses confrères. Ah ! que je serais content si une plume grave comme celle du Philosophe, qui est un homme sévère (de style), leur donnait un jour une bonne fessée, à tous ces charmants messieurs !

Je reviens à Graziella. Il y a un paragraphe d’une grande page tout en infinitifs « se lever matin, etc. ». L’homme qui adopte de pareilles tournures a l’oreille fausse ; ce n’est pas un écrivain. Jamais de ces vieilles phrases à muscles saillants, cambrés, et dont le talon sonne. J’en conçois pourtant un, moi, un style : un style qui serait beau, que quelqu’un fera à quelque jour, dans dix ans ou dans dix siècles, et qui serait rythmé comme le vers, précis comme le langage des sciences, et avec des ondulations, des ronflements de violoncelle, des aigrettes de feu ; un style qui vous entrerait dans l’idée comme un coup de stylet, et où votre pensée enfin voguerait sur des surfaces lisses, comme lorsqu’on file dans un canot avec bon vent arrière. La prose est née d’hier ; voilà ce qu’il faut se dire. Le vers est la forme par excellence des littératures anciennes. Toutes les combinaisons prosodiques ont été faites ; mais celles de la prose, tant s’en faut.

Les histoires de Mm R… me délectent et la figure du capitaine[1] est splendide. Quel homme

  1. D’Arpentigny. Voir lettre no 306, p. 360.