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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Je vise à mieux, à me plaire. Le succès me paraît être un résultat et non pas le but. Or j’y marche, vers ce but, et depuis longtemps il me semble, sans broncher d’une semelle, ni m’arrêter au bord de la route pour faire la cour aux dames, ou dormir sur l’herbette. Fantôme pour fantôme, après tout, j’aime mieux celui qui a la stature plus haute.

Périssent les États-Unis plutôt qu’un principe ! Que je crève comme un chien, plutôt que de hâter d’une seconde ma phrase qui n’est pas mûre.

J’ai en tête une manière d’écrire et gentillesse de langage à quoi je veux atteindre. Quand je croirai avoir cueilli l’abricot, je ne refuse pas de le vendre, ni qu’on batte des mains s’il est bon. D’ici là, je ne veux pas flouer le public. Voilà tout.

Que si, dans ce temps-là, il n’est plus temps et que la soif en soit passée à tout le monde, tant pis. Je me souhaite, sois-en sûr, beaucoup plus de facilité, beaucoup moins de travail et plus de profits. Mais je n’y vois aucun remède.

Il se peut faire qu’il y ait des occasions propices en matière commerciale, des veines d’achat pour telle ou telle denrée, un goût passager des chalands qui fasse hausser le caoutchouc ou renchérir les indiennes. Que ceux qui souhaitent devenir fabricants de ces choses se dépêchent donc d’établir leurs usines, je le comprends. Mais si votre œuvre d’art est bonne, si elle est vraie, elle aura son écho, sa place, dans six mois, six ans, ou après vous. Qu’importe !

C’est là qu’est le souffle de vie, me dis-tu, en