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CORRESPONDANCE

Musset et suis curieux de voir la fin de l’histoire. On n’est pas plus goujat qu’il ne la été ! C’est caduc et ignoble à la fois. Et voilà des gaillards qui ont des prétentions aux belles manières, à la gentilhommerie !

Je t’engage fort à ne plus lui faire aucune avance pour le rappel de sa promesse. Garde-toi le droit de le mépriser radicalement.

Au milieu de l’impression pénible que m’a donnée cette histoire, une consolation a surgi. C’est l’idée qu’il ne sort rien de bon de cette vie stupide. Si en la menant il faisait de bonnes œuvres ; si, préoccupé de tant de misères, il restait malgré cela grand comme poète, là serait pour nous l’embêtement objectif. Mais non, plus rien ! Son génie, comme le duc de Glocester, s’est noyé dans un tonneau et, vieille guenille maintenant, s’y effiloque de pourriture. L’alcool ne conserve pas les cerveaux comme il fait pour les fœtus.

Je n’en persiste pas moins dans mon dire relativement à l’Âne d’or, malgré l’avis du Philosophe et celui de Musset. Tant pis pour ces messieurs s’ils ne le comprennent pas et tant mieux pour moi si je me trompe. Mais s’il y a une vérité artistique au monde, c’est que ce livre est un chef-d’œuvre. Il me donne à moi des vertiges et des éblouissements. La nature pour elle-même, le paysage, le côté purement pittoresque des choses sont traités là à la moderne et avec un souffle antique et chrétien tout ensemble qui passe au milieu. Ça sent l’encens et l’urine, la bestialité s’y marie au mysticisme. Nous sommes bien loin encore de cela, nous autres, comme faisandage moral, ce qui me fait que croire la littérature française est encore jeune.