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CORRESPONDANCE

ce soir encore, pendant une belle demi-heure, des bougies qui me dansaient devant les yeux et m’empêchaient de voir.

Causer d’Art comme avec un indifférent, dis-tu. Tu causes donc d’Art avec les indifférents ? Tu regardes ce sujet comme tout secondaire, comme quelque chose d’amusant, entre la politique et les nouvelles ? Pas moi, pas moi ! J’ai revu ces jours-ci un ami qui habite hors la France. Nous avons été élevés ensemble ; il m’a entretenu de notre enfance, de mon père, de ma sœur… du collège, etc. Tu crois que je lui ai parlé de ce qui me touche de plus près, de plus haut du moins, de mes amours et de mes enthousiasmes ? Je l’ai bien évité, vive Dieu ! car il aurait marché dessus. L’esprit a sa pudeur. Il m’a assommé et je souhaitais son départ au bout de deux heures, ce qui n’empêche pas que je lui suis tout dévoué et que je l’aime beaucoup, si on appelle ça aimer. De qui causer si ce n’est d’Art, est-ce avec le premier venu ? (Sic.) Tu es plus heureuse que moi alors, car moi je ne trouve personne.

Tu veux que je sois franc ? Eh bien je vais l’être. Un jour, le jour de Mantes, sous les arbres, tu m’as dit « que tu ne donnerais pas ton bonheur pour la gloire de Corneille ». T’en souviens-tu ? Ai-je bonne mémoire ? Si tu savais quelle glace tu m’as versée là dans les entrailles et quelle stupéfaction tu m’as causée ! La gloire ! la gloire ! mais qu’est-ce que c’est que la gloire ! Ce n’est rien. C’est le bruit extérieur du plaisir que l’Art nous donne. « Pour la gloire de Corneille » ; mais pour être Corneille ! pour se sentir Corneille ?

Je t’ai toujours vue d’ailleurs mêler à l’Art un