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CORRESPONDANCE

entraînent ainsi le lecteur au milieu du frémissement des phrases et du bouillonnement des métaphores. Quand nous nous reverrons, j’aurai fait un grand pas, je serai en plein amour, en plein sujet, et le sort du bouquin sera décidé ; mais je crois que je passe maintenant un défilé dangereux. J’ai ainsi, parmi les haltes de mon travail, ta belle et bonne figure au bout, comme des temps de repos. Notre amour, par là, est une espèce de signet que je place d’avance entre les pages, et je rêve d’y être arrivé de toutes façons.

Pourquoi ai-je sur ce livre des inquiétudes comme je n’en ai jamais eu sur d’autres ? Est-ce parce qu’il n’est pas dans ma voie naturelle et pour moi, au contraire, tout en art, en ruses ? Ce m’aura toujours été une gymnastique furieuse et longue. Un jour, ensuite, que j’aurai un sujet à moi, un plan de mes entrailles, tu verras, tu verras ! J’ai fini aujourd’hui Perse ; je vais de suite le relire et prendre des notes. Tu dois être à l’Âne d’or, maintenant ; j’attends tes impressions.

Sais-tu (entre nous) que l’ami Bouilhet m’a l’air un peu troublé par la mère Roger ? Je crois qu’il tourne au tendre et que le drame s’en ressent. Les passions sont bonnes, mais pas trop n’en faut ; ça fait perdre bien du temps. Comment donc le sieur Houssaye (qui s’appelle de son nom Housset, mais je trouve l’Y sublime) est-il son ami ? Est-ce que ?… Oh !

Ne t’occupe de rien que de toi. Laissons l’Empire marcher, fermons notre porte, montons au plus haut de notre tour d’ivoire, sur la dernière marche, le plus près du ciel. Il y fait froid quelquefois, n’est-ce pas ? Mais qu’importe ! On voit