Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
125
DE GUSTAVE FLAUBERT.

Avouez que vous m’avez trouvé et que vous me trouvez encore (plus que jamais peut-être) d’un ridicule véhément ? J’aimerai un jour à reconnaître que vous avez eu raison ; je vous promets bien qu’alors je vous ferai les plus basses excuses. — Mais comprenez, cher ami, que c’était avant tout un essai que je voulais tenter ; pourvu que l’apprentissage ne soit pas trop rude !

Croyez-vous donc que cette ignoble réalité, dont la reproduction vous dégoûte, ne me fasse tout autant qu’à vous sauter le cœur ? Si vous me connaissiez davantage, vous sauriez que j’ai la vie ordinaire en exécration. Je m’en suis toujours personnellement écarté autant que j’ai pu. Mais esthétiquement, j’ai voulu, cette fois, et rien que cette fois, la pratiquer à fond. Aussi, ai-je pris la chose d’une manière héroïque, j’entends minutieuse, en acceptant tout, en disant tout, en peignant tout, expression ambitieuse.

Je m’explique mal, mais c’en est assez pour que vous compreniez quel était le sens de ma résistance à vos critiques, si judicieuses qu’elles soient. Vous me refaisiez un autre livre.

Vous heurtiez la poétique interne d’où découlait le type (comme dirait un philosophe) sur lequel il fut conçu. Enfin, j’aurais cru manquer à ce que je me dois et à ce que je vous devais, en faisant un acte de déférence et non de conviction.

L’Art ne réclame ni complaisance ni politesse, rien que la foi, la foi toujours et la liberté. Et là-dessus, je vous serre cordialement les mains.

Sous l’arbre improductif aux rameaux toujours verts, tout à vous.