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CORRESPONDANCE

s’est complètement trompée en croyant m’apercevoir sur le Carrousel. Probablement que je lui remplis l’imagination. Cela me flatte, mais elle en a menti par la gorge (manière proverbiale de parler car la susdite en a peu, de gorge). Si j’avais fait une telle escapade, tu en eusses été avertie et par moi. En doutes-tu ?

Je m’attendais à avoir hier quelques détails, soit dans ta lettre ou dans celle de Bouilhet, sur cette actrice qui s’est monté la tête à l’endroit de notre ami. Mais rien ! J’en délire ; cela m’excite. Il paraît que Monsieur le Secrétaire perpétuel a été bien bon, mercredi, chez toi, humant les blanches épaules et reniflant le fumet des aisselles. Je m’imagine le tableau ! Et cette pauvre petite Chéron, cette âme si pure, ce nez si grand, rêvait sans doute à son insensible poète qui aime ailleurs (?).

Combien y en a-t-il de ces infortunées qui portent ainsi écrit sur leur front ce que l’on voit gravé en majuscules sur les portes : Tournez le bouton, s. v. p. !

Quant à Delisle, puisque le bossu lui a fait de belles promesses qu’il n’a nullement tenues, je comprends sa répugnance à le revoir. Il est malheureux ce pauvre Delisle ! Il faut pardonner beaucoup à l’orgueil souffrant, et ce garçon m’en a l’air rongé. C’est pour cela qu’il me plaît, mais je lui retire ma sympathie s’il est envieux comme tu le crois (et tu as peut-être raison ; Leconte a passé par la démocratie active, or c’est un sale passage !).

Tu t’es un peu révoltée contre moi, il y a quelques mois, quand je t’ai dit qu’il faudrait à ce jeune