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DE GUSTAVE FLAUBERT.

lution. Ne continuez pas à mourir sur pied comme vous faites. Arrachez-vous de là. Voyagez ! Vous mourrez en route, croyez-vous, eh bien ! qu’importe ! Non ! d’abord, je vous réponds que vous vous porterez mieux, physiquement et moralement. Vous auriez besoin d’un maître quelconque qui vous ordonnât de partir, vous y forçât ! Je vous connais, comme si j’étais près de vous depuis vingt ans. C’est peut-être une présomption de ma part, ou l’excès de la sympathie que j’ai pour vous.

Je vous assure que je vous aime beaucoup et que je voudrais vous savoir, sinon heureuse, du moins tranquille. Mais il n’est pas possible d’avoir la moindre sérénité avec l’habitude que vous avez de creuser incessamment les plus grands mystères. Vous vous tuez le corps et l’âme à vouloir concilier deux choses contradictoires : la religion et la philosophie. Le libéralisme de votre esprit se cabre contre les vieilleries du dogme, et votre mysticisme naturel s’effarouche des conséquences extrêmes où la raison vous conduit. Tâchez de vous cramponner à la science, à la science pure ; aimez les faits pour eux-mêmes. Étudiez les idées comme les naturalistes étudient les mouches. La contemplation peut être pleine de tendresses. Les muses ont la poitrine pleine de lait. Ce liquide-là est la boisson des forts. Et, encore une fois, sortez du milieu où vous étouffez. Partez à l’instant, tout de suite, comme si votre maison brûlait.

Pensez à moi quelquefois et croyez toujours à mon affection bien sincère.