Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/424

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
418
CORRESPONDANCE

voyage dans les forêts sous-marines ; on entend le murmure des grèves, c’est comme si l’eau salée vous cinglait à la figure, partout on se sent porté sur une grande houle.

Et ce qui n’est pas magnifique est d’une plaisance profonde, comme ce petit roman de la dame aux bains de mer, si fin et si vrai ! Le tableau des idiots sur le paquebot d’Honfleur m’a redonné une impression personnelle, car, moi aussi, ces gens-là m’ont fait souffrir ! Ils m’ont chassé de Trouville où, pendant dix ans de suite, j’allais passer les automnes, je vivais là-bas, pieds nus sur le sable, en sauvage ; mais dans un coin de votre livre j’ai retrouvé les soleils de mon adolescence.

N’importe ! même dans un jour de défaillance, à un de ces lugubres moments où les bras vous tombent de fatigue, quand on se sent impuissant, triste, usé, nébuleux comme le brouillard et froid comme les glaçons qui craquent, on bénit la vie, cependant, s’il vous arrive une sympathie comme la vôtre, un livre comme la Mer. Alors tout s’oublie, et de ce haut plaisir il reste peut-être une force nouvelle, une énergie plus longue.

Permettez-moi donc, Monsieur, de serrer cordialement, avec un frémissement d’orgueil, votre loyale main, qui est si habile, et de me dire (sans formule épistolaire)

Tout à vous.

Je me suis occupé de M. Noël. Un de mes amis doit parler pour lui à un directeur d’assurances. Si j’ai quelque bonne nouvelle, j’aurai le plaisir de vous la transmettre.