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CORRESPONDANCE

467. À LOUISE COLET.

En partie inédite.

[Croisset] Mercredi soir, minuit [12-13 avril 1854].

J’attends Bouilhet demain ou après-demain, (peut-être même est-il en ce moment à Rouen dans les bras de sa dulcinée no 3). Aussi, je t’écris de suite de peur de n’y pas penser demain et que ma lettre ne soit en retard. Comme tu es triste, pauvre Muse ! Quelles funèbres lettres tu m’envoies depuis quelque temps ! Tu t’exaspères contre la vie. Mais elle est plus forte que nous, mais il faut la suivre. D’ailleurs ta conduite à l’encontre de ta santé n’a pas de sens. C’est la dernière fois que je te le dis. Quand tu te seras procuré, grâce à ton entêtement, quelque bonne maladie organique où il n’y aura rien à faire qu’à souffrir indéfiniment, tu trouveras peut-être que j’avais raison. Mais il ne sera plus temps ! Crois-en donc un homme qui a été élevé dans la haine de la médecine et qui la toise à sa hauteur. Il n’y a pas d’art, mais il y a des innéités, de même qu’en critique il n’y a point de poétique mais le goût, c’est-à-dire certains hommes-à-instinct qui devinent, hommes nés pour cela et qui ont travaillé cela.

Mais parlons du moral, puisque selon toi c’est là la cause de ton mal. Tu me dis que les idées de volupté ne te tourmentent guère. J’ai la même confidence à te faire, car je t’avoue que je n’ai plus de sexe, Dieu merci. Je le retrouverai au besoin et c’est ce qu’il faut. À ce propos où as-tu