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CORRESPONDANCE

féroce. Je suis moins indigné que dégoûté. Que dites-vous de ces messieurs qui viennent parlementer munis de pistolets et de cannes à dard ? Et de cet autre, de ce prince qui vit au milieu d’un arsenal et qui en use ? Joli ! Joli !

Quelle chouette lettre vous m’avez écrite avant-hier ! Mais votre amitié vous aveugle, chère bon maître. Je n’appartiens pas à la famille de ceux dont vous parlez. Moi qui me connais, je sais ce qui me manque. Et il me manque énormément !

En perdant mon pauvre Bouilhet, j’ai perdu mon accoucheur, celui qui voyait dans ma pensée plus clairement que moi-même. Sa mort m’a laissé un vide dont je m’aperçois chaque jour davantage !

À quoi bon faire des concessions ? Pourquoi se forcer ? Je suis bien résolu, au contraire, à écrire pour mon agrément personnel, et sans nulle contrainte. Advienne que pourra !


1091. À M. LÉON DE SAINT-VALÉRY.
[Paris] 15 janvier 1870.
Monsieur, ou plutôt Cher Confrère,

Vous me demandez de vous répondre franchement à cette question : « Dois-je continuer à faire des romans ? »

Or, voici mon opinion : Il faut toujours écrire, quand on en a envie. Nos contemporains (pas plus que nous-mêmes) ne savent ce qui restera de nos œuvres. Voltaire ne se doutait pas que le plus