Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 6.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
CORRESPONDANCE

un poète. Ils ont leurs affaires ; moi, je n’ai pas d’affaires ! Notez que je suis dans la même position sociale où je me trouvais à dix-huit ans. Ma nièce, que j’aime comme ma fille, n’habite pas avec moi, et ma pauvre bonne femme de mère devient si vieille que toute conversation (en dehors de sa santé) est impossible avec elle. Tout cela fait une existence peu folichonne.

Quant aux dames, « ma petite localité » n’en fournit pas, et puis, quand même ! Je n’ai jamais pu emboîter Vénus avec Apollon. C’est l’un ou l’autre, étant un homme d’excès, un monsieur tout entier à ce qu’il pratique.

Je me répète le mot de Goethe : « Par delà les tombes, en avant ! » et j’espère m’habituer à mon vide, mais rien de plus.

Plus je vous connais, vous, plus je vous admire ; comme vous êtes forte !

Mais vous êtes trop bonne d’avoir écrit derechef à l’enfant d’Israël. Qu’il garde son or !! Ce gaillard-là ne se doute pas de sa beauté. Il se croyait peut-être généreux en me proposant de me prêter de l’argent sans intérêt, mais à condition que je me lierais par un nouveau traité. Je ne lui en veux pas du tout, car il ne m’a pas blessé ; il n’a pas trouvé le joint sensible.

À part un peu de Spinoza et de Plutarque, je n’ai rien lu depuis mon retour, étant tout occupé par mon travail présent. C’est une besogne qui me mènera jusqu’à la fin juillet. J’ai hâte d’en être quitte pour me relancer dans les extravagances du bon Saint Antoine, mais j’ai peur de n’être pas assez monté.

C’est une belle histoire, n’est-ce pas, que celle