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CORRESPONDANCE

1456. À ÉMILE ZOLA.
Croisset près Rouen, 3 juin [1874].

Je l’ai lue, la Conquête de Plassans, lue tout d’une haleine, comme on avale un bon verre de vin, puis ruminée, et maintenant, mon cher ami, j’en peux causer décemment. J’avais peur, après le Ventre de Paris, que vous ne vous enfouissiez dans le système, dans le parti pris. Mais non ! Allons, vous êtes un gaillard ! Et votre dernier livre est un crâne bouquin !

Peut-être manque-t-il d’un milieu proéminent, d’une scène centrale (chose qui n’arrive jamais dans la nature), et peut-être aussi y a-t-il un peu trop de dialogues, dans les parties accessoires ! Voilà, en vous épluchant bien, tout ce que je trouve à dire de défavorable. Mais quelle observation ! quelle profondeur ! quelle poigne !

Ce qui me frappe, c’est d’abord le ton général du livre, cette férocité de passion sous une surface bonhomme. Cela est fort, mon vieux, très fort, râblé et bien portant.

Quel joli bourgeois que Mouret, avec sa curiosité, son avarice, sa résignation (p. 183-184) et son aplatissement ! L’abbé Faujas est sinistre et grand — un vrai directeur ! Comme il manie bien la femme, comme il s’empare habilement de celle-là, en la prenant par la charité, puis en la brutalisant !

Quant à elle (Marthe), je ne saurais vous dire combien elle me semble réussie, et l’art que je trouve au développement de son caractère, ou