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DE GUSTAVE FLAUBERT.

c’est une sorte de sacrifice permanent que je fais au bon goût. Il me serait bien agréable de dire ce que je pense et de soulager le sieur Gustave Flaubert par des phrases ; mais quelle est l’importance dudit sieur ?

Je pense comme vous, mon maître, que l’Art n’est pas seulement de la critique et de la satire ; aussi n’ai-je jamais essayé de faire, intentionnellement, ni de l’un ni de l’autre. Je me suis toujours efforcé d’aller dans l’âme des choses et de m’arrêter aux généralités les plus grandes, et je me suis détourné exprès de l’accidentel et du dramatique. Pas de monstres et pas de héros !

Vous me dites : « Je n’ai pas de conseils littéraires à te donner, je n’ai pas de jugement à formuler sur les écrivains, tes amis, etc. » Ah ! par exemple ! mais je réclame des conseils, et j’attends vos jugements. Qui donc en donnerait ! qui donc en formulerait, si ce n’est vous ?

À propos de mes amis, vous ajoutez « mon école ». Mais je m’abîme le tempérament à tâcher de n’avoir pas d’école ! A priori, je les repousse toutes. Ceux que je vois souvent et que vous désignez recherchent tout ce que je méprise et s’inquiètent médiocrement de ce qui me tourmente. Je regarde comme très secondaire le détail technique, le renseignement local, enfin le côté historique et exact des choses. Je recherche par-dessus tout la beauté, dont mes compagnons sont médiocrement en quête. Je les vois insensibles, quand je suis ravagé d’admiration ou d’horreur. Des phrases me font pâmer, qui leur paraissent fort ordinaires. Goncourt est très heureux quand il a saisi dans la rue un mot qu’il peut coller