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CORRESPONDANCE

Dieu sait jusqu’à quel point je pousse le scrupule en fait de documents, livres, informations, voyages, etc… Eh bien, je regarde tout cela comme très secondaire et inférieur. La vérité matérielle (ou ce qu’on appelle ainsi) ne doit être qu’un tremplin pour s’élever plus haut. Me croyez-vous assez godiche pour être convaincu que j’aie fait dans Salammbô une vraie reproduction de Carthage, et dans Saint Antoine une peinture exacte de l’Alexandrinisme ? Ah ! non ! mais je suis sûr d’avoir exprimé l’idéal qu’on en a aujourd’hui.

Aussi M. de Sacy (pas un romantique, celui-là !) n’a jamais pu comprendre ce truisme que je lui disais un jour : « L’histoire romaine est à refaire tous les vingt-cinq ans. »

Bref, pour en finir avec cette question de la réalité, je fais une proposition : la trouvaille de documents authentiques nous prouvant que Tacite a menti d’un bout à l’autre. Qu’est-ce que ça ferait à la gloire et au style de Tacite ? Rien du tout. Au lieu d’une vérité, nous en aurions deux : celle de l’Histoire et celle de Tacite.

En voilà long, hein !

Mais je termine par une citation de Goethe, un naturaliste qui était romantique, ou un romantique qui était naturaliste, — autant l’un que l’autre — comme vous voudrez.

Dans Wilhelm Meister, je ne sais plus quel personnage dit à Wilhelm « Tu me fais l’effet de Saul, fils de Cis ; il sortit pour aller chercher les ânesses de son père et il trouva un royaume ! » Vous avez voulu faire une farce et vous avez fait un beau livre !