Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/122

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assemblage de végétaux ? En la chauffant à je ne sais plus combien de degrés, on obtient de la sciure de bois, tellement que tout passe, tout croule, tout se transforme. La création est faite d’une manière ondoyante et fugace ; mieux vaudrait nous occuper d’autre chose !

Il se coucha sur le dos et se mit à sommeiller, pendant que Pécuchet, la tête basse et un genou dans les mains, se livrait à ses réflexions.

Une lisière de mousse bordait un chemin creux, ombragé par des frênes, dont les cimes légères tremblaient ; des angéliques, des menthes, des lavandes exhalaient des senteurs chaudes, épicées ; l’atmosphère était lourde ; et Pécuchet, dans une sorte d’abrutissement, rêvait aux existences innombrables éparses autour de lui, aux insectes qui bourdonnaient, aux sources cachées sous le gazon, à la sève des plantes, aux oiseaux dans leurs nids, au vent, aux nuages, à toute la nature, sans chercher à découvrir ses mystères, séduit par sa force, perdu dans sa grandeur.

— J’ai soif ! dit Bouvard en se réveillant.

— Moi de même ! Je boirais volontiers quelque chose !

— C’est facile, reprit un homme qui passait en manches de chemise, avec une planche sur l’épaule.

Et ils reconnurent ce vagabond, à qui Bouvard autrefois avait donné un verre de vin. Il semblait de dix ans plus jeune, portait les cheveux en accroche-cœur, la moustache bien cirée, et dandinait sa taille d’une façon parisienne.

Après cent pas environ, il ouvrit la barrière d’une cour, jeta sa planche contre un mur, et les fit entrer dans une haute cuisine.