Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/369

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Bouvard le sentit dans la paume de Mme Bordin. Elle se dégagea bien vite. Il y avait devant eux, béant et comme pétrifié, le jeune Victor qui regardait ; un peu plus loin, Victorine, étalée sur le dos en plein soleil, aspirait toutes les fleurs qu’elle s’était cueillies.

Le vieux cheval, effrayé par les paons, cassa sous une ruade une des cordes, s’y empêtra les jambes, et galopant dans les trois cours, traînait la lessive après lui.

Aux cris furieux de Mme Bordin, Marianne accourut. Le père Gouy injuriait son cheval : « Bougre de rosse ! carcan ! voleur » lui donnait des coups de pied dans le ventre, des coups sur les oreilles avec le manche d’un fouet.

Bouvard fut indigné de voir battre un animal.

Le paysan répondit :

— J’en ai le droit : il m’appartient !

Ce n’était pas une raison.

Et Pécuchet, survenant, ajouta que les animaux avaient aussi leurs droits, car ils ont une âme, comme nous, si toutefois la nôtre existe !

— Vous êtes un impie ! s’écria Mme Bordin.

Trois choses l’exaspéraient : la lessive à recommencer, ses croyances qu’on outrageait et la crainte d’avoir été entrevue tout à l’heure dans une pose suspecte.

— Je vous croyais plus forte, dit Bouvard.

Elle répliqua magistralement :

— Je n’aime pas les polissons !

Et Gouy s’en prit à eux d’avoir abîmé son cheval, dont les naseaux saignaient. Il grommelait tout bas :

— Sacrés gens de malheur ! j’allais l’entiérer quand ils sont venus.