Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/82

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un bouquiniste leur procura les traités de Richerand et d’Adelon, célèbres à l’époque.

Tous les lieux communs sur les âges, les sexes et les tempéraments leur semblèrent de la plus haute importance ; ils furent bien aises de savoir qu’il y a dans le tartre des dents trois espèces d’animalcules, que le siège du goût est sur la langue, et la sensation de la faim dans l’estomac.

Pour en saisir mieux les fonctions, ils regrettaient de n’avoir pas la faculté de ruminer, comme l’avaient eue Montègre, M. Gosse et le frère de Bérard, et ils mâchaient avec lenteur, trituraient, insalivaient, accompagnant de la pensée le bol alimentaire dans leurs entrailles, le suivaient même jusqu’à ses dernières conséquences, pleins de scrupule méthodique, d’une attention presque religieuse.

Afin de produire artificiellement des digestions, ils tassèrent de la viande dans une fiole où était le suc gastrique d’un canard, et ils la portèrent sous leurs aisselles durant quinze jours, sans autre résultat que d’infecter leurs personnes.

On les vit courir le long de la grande route, revêtus d’habits mouillés et à l’ardeur du soleil. C’était pour vérifier si la soif s’apaise par l’application de l’eau sur l’épiderme. Ils rentrèrent haletants et tous les deux avec un rhume.

L’audition, la phonation, la vision furent expédiées lestement ; mais Bouvard s’étala sur la génération.

Les réserves de Pécuchet, en cette matière, l’avaient toujours surpris. Son ignorance lui parut si complète, qu’il le pressa de s’expliquer, et Pécuchet, en rougissant, finit par faire un aveu.