Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/99

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pécuchet continua :

— La vitesse de la lumière est de quatre-vingt mille lieues dans une seconde. Un rayon de la voie lactée met six siècles à nous parvenir. Si bien qu’une étoile, quand on l’observe, peut avoir disparu. Plusieurs sont intermittentes, d’autres ne reviennent jamais ; et elles changent de position ; tout s’agite, tout passe.

— Cependant le Soleil est immobile !

— On le croyait autrefois. Mais, les savants, aujourd’hui, annoncent qu’il se précipite vers la constellation d’Hercule !

Cela dérangeait les idées de Bouvard, et, après une minute de réflexion :

— La science est faite suivant les données fournies par un coin de l’étendue. Peut-être ne convient-elle pas à tout le reste qu’on ignore, qui est beaucoup plus grand, et qu’on ne peut découvrir.

Ils parlaient ainsi, debout sur le vigneau, à la lueur des astres, et leurs discours étaient coupés par de longs silences.

Enfin ils se demandèrent s’il y avait des hommes dans les étoiles. Pourquoi pas ? Et comme la création est harmonique, les habitants de Sirius devaient être démesurés, ceux de Mars d’une taille moyenne, ceux de Vénus très petits. À moins que ce ne soit partout la même chose. Il existe là-haut des commerçants, des gendarmes ; on y trafique, on s’y bat, on y détrône des rois.

Quelques étoiles filantes glissèrent tout à coup, décrivant sur le ciel comme la parabole d’une monstrueuse fusée.

— Tiens, dit Bouvard, voilà des mondes qui disparaissent.