Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/162

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envoya, par un commissionnaire, un billet lui donnant rendez-vous le lendemain au Palais-Royal, afin de déjeuner ensemble.

La fortune n’était pas si douce pour celui-là.

Il s’était présenté au concours d’agrégation avec une thèse sur le droit de tester, où il soutenait qu’on devait le restreindre autant que possible ; et, son adversaire l’excitant à lui faire dire des sottises, il en avait dit beaucoup, sans que les examinateurs bronchassent. Puis le hasard avait voulu qu’il tirât au sort, pour sujet de leçon, la Prescription. Alors, Deslauriers s’était livré à des théories déplorables ; les vieilles contestations devaient se produire comme les nouvelles ; pourquoi le propriétaire serait-il privé de son bien parce qu’il n’en peut fournir les titres qu’après trente et un ans révolus ? C’était donner la sécurité de l’honnête homme à l’héritier du voleur enrichi. Toutes les injustices étaient consacrées par une extension de ce droit, qui était la tyrannie, l’abus de la force ! Il s’était même écrié :

— Abolissons-le ; et les Franks ne pèseront plus sur les Gaulois, les Anglais sur les Irlandais, les Yankees sur les Peaux-Rouges, les Turcs sur les Arabes, les blancs sur les nègres, la Pologne…

Le président l’avait interrompu :

— Bien ! bien ! monsieur ! nous n’avons que faire de vos opinions politiques, vous vous représenterez plus tard !

Deslauriers n’avait pas voulu se représenter. Mais ce malheureux titre XX du IIIe livre du Code civil était devenu pour lui une montagne d’achoppement. Il élaborait un grand ouvrage sur la Prescription, considérée comme base du droit civil et