Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/218

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commander le portrait de la Maréchale, un portrait grandeur nature, qui exigerait beaucoup de séances ; il n’en manquerait pas une seule ; l’inexactitude habituelle de l’artiste faciliterait les tête-à-tête. Il engagea donc Rosanette à se faire peindre, pour offrir son visage à son cher Arnoux. Elle accepta, car elle se voyait au milieu du Grand Salon, à la place d’honneur, avec une foule devant elle, et les journaux en parleraient, ce qui « la lancerait » tout à coup.

Quant à Pellerin, il saisit la proposition avidement. Ce portrait devait le poser en grand homme, être un chef-d’œuvre.

Il passa en revue dans sa mémoire tous les portraits de maître qu’il connaissait, et se décida finalement pour un Titien, lequel serait rehaussé d’ornements à la Véronèse. Donc il exécuterait son projet sans ombres factices, dans une lumière franche éclairant les chairs d’un seul ton, et faisant étinceler les accessoires.

« Si je lui mettais, pensa-t-il, une robe de soie rose, avec un burnous oriental ? oh non ! canaille le burnous ! ou plutôt si je l’habillais de velours bleu, sur un fond gris, très coloré ? On pourrait lui donner également une collerette de guipure blanche, avec un éventail noir et un rideau d’écarlate par derrière ? »

Et, cherchant ainsi, il élargissait chaque jour sa conception et s’en émerveillait.

Il eut un battement de cœur quand Rosanette, accompagnée de Frédéric, arriva chez lui pour la première séance. Il la plaça debout, sur une manière d’estrade, au milieu de l’appartement ; et, en se plaignant du jour et regrettant son ancien