Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/221

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de Notre-Dame se profilaient en noir sur le ciel bleu, mollement baigné à l’horizon dans des vapeurs grises. Le vent souffla et Rosanette ayant déclaré qu’elle avait faim, ils entrèrent à la Pâtisserie anglaise.

Des jeunes femmes, avec leurs enfants, mangeaient debout contre le buffet de marbre, où se pressaient, sous des cloches de verre, les assiettes de petits gâteaux. Rosanette avala deux tartes à la crème. Le sucre en poudre faisait des moustaches au coin de sa bouche. De temps à autre, pour l’essuyer, elle tirait son mouchoir de son manchon ; et sa figure ressemblait, sous sa capote de soie verte, à une rose épanouie entre ses feuilles.

Ils se remirent en marche ; dans la rue de la Paix, elle s’arrêta, devant la boutique d’un orfèvre, à considérer un bracelet ; Frédéric voulut lui en faire cadeau.

— Non, dit-elle, garde ton argent.

Il fut blessé de cette parole.

— Qu’a donc le mimi ? On est triste ?

Et, la conversation s’étant renouée, il en vint, comme d’habitude, à des protestations d’amour.

— Tu sais bien que c’est impossible !

— Pourquoi ?

— Ah ! parce que…

Ils allaient côte à côte, elle appuyée sur son bras, et les volants de sa robe lui battaient contre les jambes. Alors, il se rappela un crépuscule d’hiver, où, sur le même trottoir, Mme Arnoux marchait ainsi à son côté ; et ce souvenir l’absorba tellement, qu’il ne s’apercevait plus de Rosanette et n’y songeait pas.