Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/472

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bruit. Les sables, frappés par le soleil, éblouissaient ; et tout à coup, dans cette vibration de la lumière, les bêtes parurent remuer. Ils s’en retournèrent vite, fuyant le vertige, presque effrayés.

Le sérieux de la forêt les gagnait ; et ils avaient des heures de silence où, se laissant aller au bercement des ressorts, ils demeuraient comme engourdis dans une ivresse tranquille. Le bras sous la taille, il l’écoutait parler pendant que les oiseaux gazouillaient, observait presque du même coup d’œil les raisins noirs de sa capote et les baies des genévriers, les draperies de son voile, les volutes des nuages ; et, quand il se penchait vers elle, la fraîcheur de sa peau se mêlait au grand parfum des bois. Ils s’amusaient de tout ; ils se montraient, comme une curiosité, des fils de la Vierge suspendus aux buissons, des trous pleins d’eau au milieu des pierres, un écureuil sur les branches, le vol de deux papillons qui les suivaient ; ou bien, à vingt pas d’eux, sous les arbres, une biche marchait, tranquillement, d’un air noble et doux, avec son faon côte à côte. Rosanette aurait voulu courir après, pour l’embrasser.

Elle eut bien peur une fois, quand un homme, se présentant tout à coup, lui montra dans une boîte trois vipères. Elle se jeta vivement contre Frédéric ; il fut heureux de ce qu’elle était faible et de se sentir assez fort pour la défendre.

Ce soir-là, ils dînèrent dans une auberge, au bord de la Seine. La table était près de la fenêtre, Rosanette en face de lui ; et il contemplait son petit nez fin et blanc, ses lèvres retroussées, ses yeux clairs, ses bandeaux châtains qui bouffaient, sa jolie figure ovale. Sa robe de foulard écru collait à